Le système Séré de Rivières

Des soldats au fort des Adelphes Place d’Epinal vers 1904 – VAUBOURG Cédric

10 mai 1871, les conséquences du traité de Francfort

La France vient de capituler contre le royaume de Prusse et ses alliés allemands, devenus le jour du traité de paix, l’Empire Allemand. Cette défaite n’est pas sans conséquence car le pays est amputé de la ville de Metz et des territoires annexés par Louis XIV en 1681 qui sont les départements du Haut Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle. Seul le territoire de Belfort reste français du fait de la bravoure des troupes françaises lors du siège de Belfort. En contrepartie, la France doit céder une grosse partie du département de la Meurthe et quelques communes du département Vosgien.

L’annexion fait perdre à la nation une frontière naturelle, le Rhin, 14 470 km² de territoire, 1 694 communes et près de 1 600 000 habitants. Elle se sépare également de 20 % de son potentiel minier et sidérurgique, de trois places fortes importantes (Metz, Bitche et Strasbourg) ainsi que de la liaison par canaux entre le canal de l’Est et le canal du Rhône au Rhin.
Cette amputation durement ressentie ne permet pas de construire une paix durable.

Après avoir libéré de l’occupation allemande Belfort et les six départements du Nord et en attendant le remboursement d’une lourde dette de guerre de 5 milliards de francs or, il faut reconstruire la défense. Cette dette qui doit être remboursée en trois ans sera remboursée le 16 septembre 1873, date à laquelle le dernier soldat allemand quitte Verdun dernière ville occupée. Le remboursement de la dette sera assurée grâce à d’importants prêts publics internationaux qui impacteront fortement la capacité d’investissement de la France jusqu’à la Grande Guerre.

Afin de protéger rapidement la nation, les premières mesures consisteront à réformer l’armée avec un service militaire plus long qui passe à cinq années permettant ainsi de porter l’effectif sous les drapeaux de 100 000 à 500 000 hommes.
Il faut aussi protéger les frontières, car la France est complètement isolée sur la scène européenne. Elle doit mettre en place un système de défense fortifié dissuasif capable de ralentir une attaque surprise pour mieux mobiliser l’armée de campagne. Cette protection assure également le redressement de l’armée Française qui doit moderniser son matériel.

Pourtant, la France doit faire preuve de réalisme, elle sort d’un conflit l’ayant complètement affaiblie et isolée avec une frontière sans défense, ouvrant la route de Paris à une nouvelle invasion. Son armée est désorganisée avec un armement dépassé et des citadelles complètement obsolètes face à l’artillerie rayée.

Les fortifications Séré de rivières en 1914. VAUBOURG Cédric

Un nouveau système défense

Pour protéger la frontière, on nomma au Ministère de la guerre le Général Séré de Rivières qui inventa peu de temps avant la guerre de 1870, un nouveau type de places fortes composées de plusieurs forts détachés, capables de se défendre mutuellement. Ce système commença à être installé à Metz et à Nice, mais il n’aura pas le temps d’être terminé à la déclaration de guerre.

Le conflit de 1870 va montrer au Général Séré de Rivières que ce type de places fortes peut-être contourné. Il va donc améliorer son projet en créant des rideaux défensifs sur des points stratégiques et des zones sans fortification appelées trouées. 

En juin 1874, Séré de Rivières devient Directeur du Génie au Ministère de la Guerre ce qui lui permet de faire approuver son programme le 17 juillet de la même année pour débloquer les crédits pour la  construction d’une nouvelle ligne de défense.

Les ouvrages fortifiés sont répartis en 4 éléments principaux :

  • Les places fortes ou camps retranchés: Ces places fortifiées sont placées à des croisements importants de plusieurs voies de communication (voies ferrées, canaux et routes). Elles sont classées en fonction de leur importance stratégique et de leur exposition à une attaque surprise (1ère ligne, 2ème ligne et 3ème ligne). Ces places sont entourées partiellement ou totalement de plusieurs forts détachés qui sont capables de se défendre mutuellement. Ils sont placés à 5 ou 8 km autour du noyau central pour abriter des bombardements la ville où se trouvent la population civile et les soldats qui logent dans les casernes. Elles contiennent aussi les troupes qui doivent être envoyées sur la frontière dès les premiers moments du conflit.
  • Les rideaux défensifs se composent de forts pouvant se défendre mutuellement, placés sur une barrière naturelle entre deux places fortes.
  • Les trouées sont des zones sans protection pour prendre en tenaille une armée ennemie entre plusieurs places fortes avec l’armée de campagne.
  • Les forts d’arrêt sont des ouvrages complètement isolés destinés à paralyser ou interdire un passage stratégique obligatoire à une armée ennemie.

Plus de 400 ouvrages seront construits de 1874 à 1885 sur la totalité des frontières françaises, à des endroits stratégiques où ils contrôlent des moyens de communication.

Carte de la Trouée de Charmes. VAUBOURG Cédric

La répartition des forts sur le territoire est composée de plusieurs groupes.

  • Le premier concerne le Jura, qui avait comme Places Fortes, les villes de Besançon et de Pontarlier.
  • Le deuxième concerne les Vosges, avec comme support les villes de Belfort, d’Epinal et le rideau de la Haute Moselle. 
  • Le troisième groupe, relatif à la Meuse moyenne, est constitué d’ouvrages partant de Toul à Verdun par les Hauts de Meuse.
  • Enfin le quatrième groupe concerne le Nord, il s’étend de Montmédy à Dunkerque, en passant par Maubeuge et Lille. Ce dernier relie le groupe de la Meuse par les positions de Montmédy-Longwy et les Ayvelles-Givet.

Le renforcement de la frontière italienne se fait par une modernisation des forteresses de montagne (Albertville, Briançon, Tournoux…) et de l’ancien camp retranché de Lyon.

Le Sud n’y échappe pas, les Places Fortes de Nice, Toulon et Marseille sont aussi modifiées. Quelques ouvrages sont placés le long de la frontière espagnole et sur la côte atlantique pour protéger les frontières maritimes en particulier sur les principaux ports (Lorient, Brest, Cherbourg, Le Havre….). Les colonies françaises reçoivent un grand nombre d’ouvrages pour protéger les points stratégiques et Paris se voit enfin protégé par une nouvelle ceinture de forts, placés en avant de ceux construits en 1840. 

Les forts de 1874 à 1885

Ces nouvelles fortifications sont de longues crêtes de feu conçues pour le tir à longue distance. Elles doivent mieux résister aux bombardements que nos fortifications construites sous Vauban ou Haxo, car elles possèdent des locaux et des galeries semi enterrées en maçonnerie d’un mètre d’épaisseur, recouvertes par une couche de 2 à 5 mètres de terre qui arrête les plus gros obus en fonte de l’époque ayant 21 cm de diamètre.
De plus, leur forme polygonale assure une meilleure protection contre les assauts de l’infanterie par rapport au système bastionné.
Ces fortifications sont étudiées pour résister à un siège de plusieurs semaines car elles possèdent différents locaux et réserves qui assurent leur autonomie (boulangerie, cuisine, citernes, magasins aux vivres, magasins à poudre, etc…). L’éclairage s’y effectue grâce à des lampes à pétrole ou à colza, mais aussi par des puits de lumière qui peuvent être obstrués lors de la mise en défense de l’ouvrage. L’armement principal est placé à l’air libre entre des traverses abri sur des plates-formes de tir, mais dans les ouvrages les plus exposés, une partie des pièces est protégée sous tourelles ou sous casemates cuirassées en fonte dure.

La garnison du fort du Bambois à Epinal en 1902. Lionel PRACHT

La crise de l’obus torpille

En 1885, la France a fait un effort considérable, elle peut se sentir à l’abri grâce à un nouvel armement beaucoup plus puissant et une armée réorganisée avec un service militaire plus long. Sa ligne de fortification est sur le point de se terminer qu’un nouvel explosif vient rendre obsolètes tous les ouvrages construits au cours des dernières années. Cet explosif utilisé pour la partie détonante des obus est l’acide picrique qui sera nommé mélinite, pour masquer sa composition. Il est trois à quatre fois plus puissant que l’ancienne poudre noire, de plus il peut être stocké en grande quantité dans des nouveaux obus en acier qui sont plus longs et plus fins.

Pour tester la résistance des nouvelles fortifications, on effectue une expérience à tir réel avec des nouvelles pièces De Bange de 155 et de 220 mm qui tireront près de 170 obus sur le fort de la Malmaison au-dessus de Paris. Les résultats sont accablants, les nouveaux forts en maçonnerie ne peuvent plus résister à ce type de d’attaque. Il faut donc les renforcer avec une carapace de béton et placer l’armement sous tourelles ou sous casemates cuirassées pour les protéger des bombardements. Mais la France ne peut refaire le même effort financier, surtout qu’il parait moins indispensable qu’en 1873, car cette dernière vient de sortir de son isolement diplomatique en s’alliant avec la Russie.

1885-1899 la période de transition

Locomotive Péchot au Port d’Epinal en 1904. Lionel PRACHT

En attendant de nouvelles solutions et de nouveaux crédits, une poignée de forts sont en partie renforcés avec une carapace de béton spécial de 2m50 d’épaisseur souvent destinée aux casernements. Les pièces d‘artillerie lourde sont sorties des ouvrages pour être placées dans une multitude de batteries d’artillerie et les munitions sont décentralisées dans différents magasins extérieurs. De ce fait, les forts perdent leur action de grosse batterie d’artillerie, mais ils conservent leur rôle d’observatoire du secteur et de flanquement des intervalles. Ces nouvelles multiples constructions vont créer des problèmes de ravitaillement dans les places fortes, qui sera assuré après 1888 dans les places de Verdun, Toul, Épinal et Belfort par un réseau de voie ferrée de 60 cm de large, où circulaient des locomotives Péchot à deux chaudières. Elles pouvaient remplacer de 10 à 100 chevaux par convoi en fonction de la configuration du terrain.

Manœuvres dans une batterie d’artillerie en 1904 à Epinal. Lionel PRACHT

L’ère des cuirassements et du béton armé

A partir de 1886, on abandonne la fabrication des cuirassements en fonte dure suite à l’arrivée d’obus au chrome qui fragilisent cette matière. De nouvelles tourelles en métal mixte ou en fer laminé vont faire leur apparition comme la tourelle Bussières à éclipse, qui sera testée au Camp de Chalon en 1888. Cette dernière sera préférée à deux prototypes tournants Saint-Chamond et Montluçon car elle résiste mieux aux bombardements. Mais son principe de fonctionnement complexe et couteux ne permet pas de la retenir.

Il faudra attendre 1891 et surtout 1899 pour voir apparaître de nouveaux matériels permettant de protéger l’armement sous tourelles en acier ou en fer laminé. L’arrivée du béton armé en 1897 va faciliter les renforcements, car il peut être coulé en dalle de 1m60 d’épaisseur, permettant de diminuer la hauteur des ouvrages pour la construction de casemates d’artillerie, de galeries ou le renforcement des casernements. Ces modernisations doivent résister aux obus de 270mm, calibre le plus gros pour l’armée de terre à l’époque.

La tourelle Galopin modèle 1890 du fort d’Arches en 1904. Lionel PRACHT

Des tensions en Europe

Depuis la guerre de 1870, l’Empire Allemand essaye d’isoler la France sur la scène européenne pour l’empêcher de reconquérir l’Alsace-Moselle et de s’étendre en Afrique-coloniale. Ainsi, l’État Français, qui est seulement allié depuis 1892 avec la Russie, se retrouve entouré de pays formant une alliance, la Triplice, menaçant à tout moment de l’attaquer. Les autres états sont des pays neutres comme, la Belgique ou la Suisse pouvant basculer dans le camp de la Triplice ou encore laisser un droit de passage sur leur territoire pour envahir l’Etat français.

La crise de Fachoda en 1898 n’arrange rien, elle oppose la France au Royaume-Uni dans le Sud du Soudan. Il faudra attendre le début du siècle pour que les relations s’améliorent et que les deux pays signent l’entente cordiale le 8 avril 1904. Ce traité, de portée surtout symbolique, définit des zones d’influence concernant les colonies, afin d’éviter tout nouvel incident. Il sera le départ d’une nouvelle alliance face à la Triplice.

En 1905, face à la montée en puissance de l’Allemagne, le Royaume-Uni s’inquiète. Il sort de son isolement diplomatique le 31 août 1907, où il signe avec la Russie un accord qui délimite leurs zones d’influence en Afghanistan, en Perse et au Tibet. Les deux pays s’engagent à se soutenir mutuellement si l’un des deux se faisait attaquer par la Triplice.

Les accords de 1904 et 1905 forment la Triple Entente mais n’engagent pas le Royaume-Uni si la France se fait attaquer sur ses frontières face à l’Empire Allemand.

En revanche, les grandes nations, la France, l’Empire Allemand, l’Autriche-Hongrie et le Royaume-Uni sont garants de la neutralité Belge depuis 1839. Une violation de cet accord par l’Allemagne entrainerait le Royaume Uni à rentrer en guerre à nos côtés.

Cette situation qui va durer jusqu’à la Grande Guerre redonne de la valeur à notre système fortifié fragilisé depuis la crise de l’obus torpille, car une invasion de la Belgique par la Triplice serait très mal vu sur la scène européenne. D’ailleurs, le Royaume Uni, première flotte du monde, voit d’un mauvais œil la montée en puissance de la marine allemande, craignant le contrôle des principaux ports belges par la flotte du Reich face à ses côtes.

La Haute Commission des places Fortes qui vient de récupérer la gestion des fortifications à la lourde tâche de démontrer l’importance de ce système de défense en  proposant des nouveaux projets cohérents pour récupérer des crédits pour son renforcement dans des secteurs précis.

Dans cette période, une grande majorité des fortifications face à la Belgique seront désarmées ou déclassées et celle face à la frontière allemande seront modernisées afin qu’elles assurent leur rôle de dissuasion ou de barrage entre deux pays neutres (Belgique et Suisse).

La frontière franco-italienne voit aussi sa défense renforcée sur quelques passages très stratégiques.

Les soldats devant deux canons de 90 sur affûts de siège et place au fort de Bois l’Abbé à Epinal vers 1907. Lionel PRACHT

1899-1914 La fortification moderne

Ces modernisations très couteuses doivent en partie être réalisées dans les places de Verdun, Toul, Épinal, Belfort et Maubeuge mais aussi dans quelques ouvrages des Alpes car la France vient d’obtenir le soutien de l’Angleterre en cas d’agression du territoire Belge. Les tensions fréquentes avec l’Allemagne permettent d’obtenir de nouveaux crédits pour revaloriser ces places fortes. Les anciens forts sont modernisés et de nouveaux ouvrages sortent de terre pour éloigner ou renforcer la ligne de défense.

En 1914, un fort moderne possède un casernement et un armement à l’épreuve. Il est parfois électrifié par le réseau civil et il peut même recevoir une usine photo-électrique qui lui assure son indépendance énergétique. La communication avec les différentes parties de l’ouvrage s’effectue par tubes acoustiques ou par téléphone. Il peut aussi communiquer avec les différents éléments de la place par télégraphie électrique. Les ouvrages les plus modernes possèdent des batteries cuirassées extérieures indépendantes pouvant être reliées au fort par une galerie. Ce qui annonce la nouvelle conception des ouvrages Maginot construits pendant l’entre-deux guerre.

Les places fortes ont aussi évolué avec un parc d’artillerie d’environ 600 pièces et de nouveaux moyens de défense comme l’aviation ou les dirigeables. Elles peuvent aussi communiquer avec les places voisines ou Paris par le biais de la tour Eiffel grâce à des stations radiotélégraphiques. A la déclaration de guerre, la ligne de défense dissuasive est en pleins travaux, et de nouveaux projets prévoyaient de renforcer la place de Paris et certains ouvrages des Alpes, des hauts de Meuse et de la Haute de Moselle. 

Construction d’une des deux tourelles de 75R05 au réduit de la Croix Saint-Michel en 1902 sur l’Ile d’Ouessant. Tous droits réservés

Les fortifications dans la Grande Guerre

31 juillet 1914, l’Allemagne lance un ultimatum à la France en l’obligeant à lui livrer les places fortes de Verdun et Toul comme garantie de neutralité du Gouvernement Français vis-à-vis de son allié, la Russie. La France répond qu’elle « agira en fonction de ses intérêts » puis elle mobilise son armée.
Le 3 août, la Belgique refuse le passage des troupes allemandes sur son territoire. L’Allemagne déclare la guerre à la France et lance son invasion selon le plan Schlieffen, en préférant s’attaquer aux forts belges et en violant la neutralité de ce pays qui la mène dans un conflit avec la Grande-Bretagne.

Mais le début de la guerre n’est pas favorable à la fortification. Les allemands évitent les places de l’Est et font chuter le fort de Manonviller. En effet, ce fort très moderne en avant de la trouée de Charmes se retrouve rapidement isolé sous le déluge d’obus de 420mm pesant près d’une tonne. Ne pouvant pas recevoir d’ordre ou d’information de l’extérieur, Manonviller se rend au bout de 3 jours d’intenses combats du fait d’une garnison à bout de forces. À la fin de l’attaque, le fort était relativement en bon état. Mais la machine de propagande allemande ordonnera la destruction volontaire de cette coûteuse forteresse pour masquer à l’Etat-Major français le peu d’effet de leurs obus de gros calibre et empêcher la réparation du fort. Pourtant, le fort mobilisera d’importantes troupes allemandes qui auraient été précieuses sur le front du Grand Couronné lors de la première victoire française.

Vue aérienne du fort de Manonviller après le bombardement d’août 1914 Trouée de Charmes. Lionel PRACHT

La chute de la place de Maubeuge n’arrange pas la situation. Ce camp retranché, faiblement modernisé, qui devait appuyer les troupes mobiles de campagne, se retrouve isolé. Le siège de Maubeuge orchestré par un déluge d’obus de très gros calibre durera près de 15 jours. Mais comme à Manonviller, la résistance de la place a permis de mobiliser d’importantes troupes allemandes qui auraient été très utiles sur le front de la Marne.

Les équipages isolés dans des ouvrages non modernisés de la citadelle de Montmédy et du fort des Ayvelles n’ont pas le choix d’abandonner leur position pour ne pas passer sous le rouleau compresseur allemand. Sur les Hauts de Meuse, la chute du fort du Camps des Romains produit l’hernie de Saint-Mihiel qui gênera l’approvisionnement de Verdun pendant toute la guerre et même si les forts de Troyon, des Paroches et de Liouville ont tenu leur position lors de puissant combats, ils sont complètement chamboulés par les bombardements, voir inutilisables.

Dans le nord de la France, les forts de Reims, de Laon, La Fère, d’Hirson et bien d’autres ne ralentissent pas la progression allemande, car ils sont déclassés depuis plusieurs années. Les allemands prennent ces ouvrages vides sans combat et s’y installent pour y tenir position pendant presque toute la guerre.

A la fin septembre 1914, l’état-major perd confiance dans une fortification souvent mal utilisée conduisant directement le 5 août 1915 à un décret qui met fin aux places fortes et les désarme. Personnel, pièces d’artillerie et munitions sont envoyés sur le front, pire on laisse assez d’explosif dans les ouvrages afin de les détruire pour ne pas les laisser à l’ennemi.

La destruction à l’exposif par les allemands de la tourelle de 75R05 du fort d’Hautmont à Maubeuge en 1914. Lionel PRACHT

La bataille de Verdun 1916
Les places étant désarmées, les allemands vont essayer en février 1916, de s’attaquer à l’une des places les plus modernisées «Verdun», pour faire une nouvelle percée dans le front qui s’enlise.

Cette conséquence incite l’état-major allemand, sous les ordres du Général Von Falkenhayn, à effectuer une percée à Verdun le 21 février 1916. Ce camp retranché, en grande partie désarmé, à proximité des premières lignes, gêne les allemands pour le ravitaillement du front de la Champagne depuis le début de la guerre. Sa chute permettrait d’user l’armée Française car Verdun, dernière ville évacuée par les allemands en 1873, est un symbole national auquel l’Etat-Major Français attache un grand prix. De plus, elle connaît de gros problèmes de ravitaillement car il n’y a plus de voie de communication importante qui la relie à l’arrière depuis la formation du saillant de Saint-Mihiel. Pour essayer d’écraser Verdun, les Allemands vont utiliser la méthode du Trommelfeuer qui est une préparation d’artillerie dite en roulement de tambour. Pour cela, ils vont utiliser au nord de la place forte, 1225 pièces d’artillerie, dont 542 obusiers de gros calibre. Les Allemands déploient notamment un obusier de 210 mm tous les 150 mètres. Ils utilisent aussi 17 obusiers de 305, 13 obusiers de 420 mm et 2 pièces de marine de 380 mm qui ont eu jusqu’à ce jour de grands succès sur les fortifications. Toute cette artillerie va tirer pendant deux jours près de deux millions d’obus, avant d’envoyer 60 000 hommes d’infanterie à l’attaque. Le bombardement est tellement violent qu’il est audible jusqu’aux Vosges, à 150 km de là.
Le fort de Douaumont tombera dès les premiers jours, car sa faible garnison sans soutien était livrée à elle-même. Au fort de Vaux, la situation n’est pas meilleure, l’ordre est donné à la garnison de faire sauter le fort avant de l’évacuer, mais le bombardement détruira le magasin où sont placés les explosifs. Seule la tourelle de 75 explosera accidentellement par le choc provoqué par un obus de gros calibre qui viendra déclencher la mise à feu de la charge de destruction. Cet incident et le désarmement du fort handicaperont l’ouvrage quelques mois plus tard. Malgré la puissance de feu, rapidement les allemands sont ralentis par des soldats isolés qui tiennent solidement leurs positions dans un secteur pourtant bouleversé par les bombardements.
C’est le Général Pétain qui sera chargé en mars 1916, de diriger cette bataille. L’une des ses premières mesures sera de réarmer les différentes fortifications quand la situation le permet avec leur garnison, l’armement et les munitions dont elles ont besoin.
Pour ravitailler Verdun, il fera élargir l’unique voie de ravitaillement qui sera appelée la voie sacrée où plus de 6000 camions circuleront chaque jour. Mais, ces mesures sont très longues à mettre en place. Il faudra parfois attendre plusieurs mois pour réapprovisionner certains ouvrages. L’ouvrage de Thiaumont, constamment sur la ligne de front, ne sera jamais réarmé. Il sera pris et repris maintes fois et il sera complètement détruit par les bombardements. Le fort de Vaux, fortement handicapé depuis l’incident du début de la bataille, ne pourra pas être réarmé. Les casemates de Bourges sont vides à la fin mai 1916, lorsque de violents combats éclatent pour prendre le fort. Ils se dérouleront jusqu’à l’intérieur de l’ouvrage au corps à corps. La garnison, sous les ordres du Commandant Raynal, assoiffée, se rendra par obligation le 7 juin 1916, car les citernes en béton de l’ouvrage s’étaient fissurées et vidées de leur eau potable sous la pression du bombardement.
Les autres ouvrages attaqués par l’artillerie ennemie, comme les forts de Vacherauville, Moulainville, La Laufée, Tavannes, Bois-Bourrus, Marre, Belle-Epine et Charny vont faire preuve d’une défense exceptionnelle en prenant à partie l’ennemi pendant toute la bataille dans des conditions très difficiles.
L’ouvrage de Froideterre repoussera les Allemands qui avaient réussi à s’installer sur les dessus du fort. Il bloquera ainsi la progression allemande le 23 juin 1916 grâce à sa tourelle d’artillerie.
Au fort de Souville, pourtant peu modernisé et complètement anéanti, les quelques hommes qui défendent la position à la mitrailleuse bloqueront la dernière avancée extrême allemande le 12 juillet 1916.

Les forts de Douaumont et de Vaux pris par les allemands sont repris par les Français après plusieurs tentatives trés couteuses en hommes et de très longues préparations d’artillerie. L’ennemi en sera chassé définitivement le 24 octobre à Douaumont et le 2 novembre 1916 à Vaux.

Dès le mois de mars 1916, quand cela est possible, les forts sont réapprovisionnés, et d’importants travaux dits de 17 sont effectués jusqu’à la fin de la guerre par le service des Forts sur les ouvrages de la frontière du Nord Est. Mais seule, la place de Verdun et le rideau défensif des Hauts de Meuse seront vraiment concernés par le gros des travaux.

Après septembre 1916, un grand nombre d’ouvrages du nord de la place soutiendront avec leur artillerie les différentes troupes alliées lors de la grande offensive qui mit fin à la bataille en décembre 1916.
Certaines fortifications comme Douaumont ou Vacherauville seront encore visées par l’artillerie ennemie jusqu’à la fin octobre 1917.
Même, si ces ouvrages on tenu bon, ils furent la cible permanente de l’artillerie allemande, qui va rendre la vie impossible à l’intérieur, les obus de très gros calibre arrivant à percer ou à fissurer l’épaisse couche de béton. De plus, l’arrivée des obus à gaz n’a pas arrangé la situation.
Les tourelles d’artillerie en acier, mises au point après 1885, résisteront au déluge de feu et rendront de très grands services pendant toute la bataille. Ce sera le cas pour les forts de Vacherauville, Moulainville, Marre et aux ouvrages de La Laufée et de Froideterre.
Pour améliorer les conditions de vie des soldats et la défense du fort, les ouvrages subiront d’importants travaux d’enfouissement par galeries profondes et de dispersion des défenses d’infanterie, jusqu’au milieu de l’année 1918. Ces travaux seront appelés travaux de 17.
En décembre 1916, à la fin de la bataille, le front est revenu approximativement à son emplacement de janvier de la même année. Près de 60 millions d’obus ont été tirés dont un quart n’ont pas explosé. Cette bataille née du déclassement des places fortes aura coûté à la France, d’après des chiffres non officiels, près de 378 000 hommes (62 000 tués, plus de 101 000 disparus, et plus de 215 000 blessés, souvent invalides) et du côté allemand près de 337 000 hommes. La très grande majorité des victimes aura lieu dans les tranchées.

L’entrée du fort de Moulainville à Verdun le 12 juillet 1916. Archives de la BDIC

Quelques chiffres sur la violence des bombardements des fortifications de Verdun :
Le fort de Moulainville sera visé par 9500 obus jusqu’au 31 octobre 1917 (330 obus de 420 mm / 770 obus de 305 – de 280 ou de 210 mm allongé / 4700 obus de 210 – de 150 ou de 130 mm / 2600 obus de 105 mm / 1100 obus de petits calibres ou d’obus à gaz).
Nombre de coups tirés par les tourelles du fort de Moulainville sur l’ennemi :
tourelle de 155R environ 5800 coups / tourelle de 75R05 environ 11800 coups.
Le coût de construction et de modernisation du fort de Moulainville en 1914 est estimé à 3 650 000 francs.
Le coût des obus tirés par l’ennemi sur le fort de Moulainville à la fin de l’année 1917 est estimé à 5 000 000 francs.

En plein milieu de la bataille de Verdun, le coût d’une journée de Guerre à la France correspond au coût de construction et de modernisation de la place de Verdun pendant près de 40 ans.

À la fin de la guerre, la fortification moderne avait fait ses preuves, permettant ainsi d’obtenir plus facilement de nouveaux crédits pour construire la future ligne Maginot sur la frontière reconquise.

La fin d’une époque

La réddition du fort de Longchamp à Epinal en juin 1940 – Lionel PRACHT

En 1940, les places fortes servent de bases arrières et de dépôts de munitions, mais les ouvrages possédant des tourelles ou des casemates sont utilisés comme deuxième ligne de défense. Ces forts souvent modernisés après 1885, ne sont plus à l’épreuve des obus ou des bombes de très gros calibre, ils sont tenus par une poignée d’hommes. Lors de l’arrivée des allemands, quelques ouvrages ouvrent le feu en se battant dans des conditions pour lesquelles ils n’étaient pas prévus alors que l’Armistice venait d’être signée. L’occupant utilisera ces forts comme dépôts de munitions mais à la fin de l’année 1942, il commence par manquer de métal. Les tourelles, grilles et différentes parties métalliques seront ferraillées par l’organisation Todt pour la construction du mur de l’Atlantique ou la fabrication du matériel de guerre. Seule une petite poignée d’ouvrages est épargnée à la fin de la seconde guerre mondiale. L’armée française réoccupera ces forts comme dépôts de munitions jusque dans les années 60-70 avant de les abandonner dans la grande majorité des cas.

Le ferraillage des tourelles de Giromagny vers 1942 par l’occupant sous l’Organisation Todt. Lionel PRACHT

La fortification Séré de Rivières de nos jours

Aujourd’hui, ces fortifications ont souvent été vendues à des communes ou des propriétaires privés. Leur restauration est très couteuse, surtout après plusieurs années d’abandon. De plus, ces ouvrages sont souvent difficiles à reconvertir, car plus de 150 ans après leur construction, ils deviennent très humides et sombres.
La grande majorité des ouvrages est à l’abandon et leur accès est interdit pour des raisons évidentes de sécurité. Mais, certains ouvrages sont visitables le plus souvent par des associations locales qui ont effectué d’importants travaux de restauration avec une poignée de bénévoles, dans le but de faire découvrir ce patrimoine.
Nous rappelons que l’accès aux différentes fortifications est interdit sans l’autorisation des propriétaires.