Le renforcement des forts
Apparition des obus à mélinite
Les conséquences de l’emploi des obus à fragmentation systématique étaient à peine aperçues qu’un explosif nouveau, d’une puissance inconnue jusqu’alors, la mélinite, faisait son apparition. L’artillerie, s’emparant de cette découverte, réalisa bientôt l’obus explosif allongé, à grande capacité. Ainsi, le canon donnait le moyen de transporter des charges de 40 Kg d’explosif sur les voûtes en maçonnerie des forts.
Les 3 mètres de terre qui recouvraient les abris devenaient plus nuisible qu’utiles, car l’obus les traversait et ils formaient un bourrage augmentant l’effet nocif de l’explosion. Les matériaux employés dans les fortifications comme la maçonnerie étaient donc franchement insuffisants, et il fallait en trouver d’autres.
Le remède pour le renforcement des forts fut trouvé dans deux séries d’expériences. Dans la première, on essaya le béton de ciment, dit « béton- spécial » (1887-1888) et, dans la seconde, le « béton armé » (1897-1901).
Les premiers renforcement des forts en béton spécial
Pour pallier à la crise de l’obus torpille, il fallait adapter les fortifications en enterrant les locaux sous une épaisse couche de terre ou en les renforçant avec du béton. Celui qui a donné le meilleur résultat en 1886 est celui nommé béton spécial. Il se compose de 0,3 m³ de gravier, 0,9 m³ de cailloux et de 400 kg de ciment qui donnent 1 m³ de béton spécial mis en place et damé. La quantité de ciment est réduite à 300 kg pour les parties qui ne sont pas exposées aux coups directs des obus.
Pour une meilleure résistance, les massifs de béton, qui constituent les organes de la fortification, sont en théorie coulés sans interruption, de manière à ce qu’ils constituent des blocs monolithes.
Ce béton peut renforcer d’anciens locaux, débarrassés de leur terre, puis recouvert d’un matelas de sable d’un mètre d’épaisseur, sur lequel on coule une «carapace» en béton spécial de 2,5 m d’épaisseur comme aux forts de Longchamp, de Douaumont ou de Vaux.
Il est aussi utilisé pour créer de nouveaux locaux, placés dans une partie vierge de la fortification comme aux forts de Girancourt, de Villey le Sec ou de Domgermain, ou à la place d’anciens locaux en maçonnerie comme aux forts de la Grande Haye ou d’Uxegney.
Lors de ce type de renforcement, l’épaisseur de béton doit être au minimum de 2m50 pour un cintre de voûte de 5 mètres. Par exemple, au fort de la Grande Haye l’épaisseur du béton atteint 2m65.
A l’intérieur des locaux, les parties bétonnées sont signalées sur les murs par une ligne rouge informant les soldats qu’ils se situent dans des locaux protégés des obus à mélinite, d’un diamètre inférieur à 27 cm (le mortier de 270 est le calibre français le plus gros à l’époque).
Après 1897, le béton spécial ne sera plus utilisé pour les parties exposées, il sera remplacé par du béton armé coulé en dalles.
Conclusions des expériences de 1887-88
Un projectile allongé de gros calibre tombant sur la paroi supérieure d’une voûte en béton spécial, y pénètre de 20 à 60 centimètres au plus. Il est difficile, même par un tir prolongé, de désagréger la maçonnerie sur plus de 1m, 25 de profondeur. Le béton désagrégé par une explosion, resté dans l’entonnoir, protège la partie sous-jacente contre les explosions suivantes et forme matelas, si bien qu’au 3ème ou 4ème projectile, l’entonnoir n’augmente plus. Remarquons que la superposition des coups est très rare.
Les explosions répétées de très fortes charges de mélinite peuvent cependant causer des fissures et provoquer la chute de ménisques à l’intérieur de la voûte. Des voûtes en plein cintre de 2,50 d’épaisseur suffisent pour des portées de 5 mètres. L’épaisseur de 2 mètres suffit pour des portées de 3 mètres.
Il ne faut pas exposer de parois verticales, même en béton, au tir direct, car les matériaux désagrégés tombent et ne forment plus matelas protecteur.
Les murs de contrescarpe et en général tous les murs terrassés risquant d’être atteints par les projectiles doivent être protégés du côté exposé par un matelas de grosse rocaille de 3 à 4 mètres d’épaisseur. Les projectiles ne peuvent traverser ce matelas qui provoque leur éclatement et facilite l’expansion des gaz dans ses vides intérieurs.
Le béton armé
En 1897, on adopte un béton spécial dans l’intérieur duquel sont noyées des couches horizontales de barreaux en acier doux à section circulaire de 1cm de diamètre. Les couches sont à 15 ou 20 cm l’une de l’autre. Chacune d’elles est formée d’un quadrillage de 10cm environ de côté.
Ce béton présente une certaine élasticité que ne possède pas le précédent. Il ne se fissure pas sous le choc des projectiles à grande puissance explosive. Les effets obtenus ne s’ajoutent pas, ils sont absolument localisés. Il n’y a plus à craindre la séparation de gros ménisques à l’intérieur.
Le béton armé, sous une épaisseur de 1m80, permet l’emploi de voûtes surbaissées au 1/10 pour des portées de 6m. Les voûtes peuvent être remplacées par des dalles pour des portées inférieures à 3m. L’épaisseur ne doit jamais descendre au-dessous de 1,2 m.
Le roc franc
Au cours de la première série d’expériences, on a constaté que 5 mètres d’épaisseur de roc vierge donnaient une protection aussi grande que 2,50 de béton spécial ou 1,80 de béton armé. Pour obtenir la même protection sous la terre ordinaire, il fallait un massif de 10 à 12 mètres d’épaisseur au moins. Certains ouvrages où la configuration du terrain le permettra seront construits sous roc pour des raisons économiques.
Ces différentes améliorations très coûteuses paralysent l’ouvrage pendant les travaux. Elles ne seront pas installées sur tout le système. Seuls les ouvrages prioritaires de première catégorie, certains ouvrages côtiers et quelques forts dans les Alpes bénéficieront de ces renforcements.