La défense des fossés des forts modernisés

L’extérieur du coffre double du fort de Dogneville à Epinal. VAUBOURG Cédric

Le remplacement des caponnières par des coffres de contrescarpe

Les caponnières installées sur les fronts de tête ou sur les flancs des ouvrages ne peuvent plus résister convenablement aux obus torpilles, même si elles sont construites en béton. En effet, les murs de pourtour sont toujours exposés aux chocs directs des projectiles. Ces caponnières sont donc remplacées, lors des travaux de renforcement, par des coffres de contrescarpe en béton spécial puis en béton armé. On avait eu soin, avant 1885, de placer les murs de façade des embrasures des caponnières du coté le moins dangereux, c’est à dire du coté où les coups directs ne sont pas à craindre. Les coffres seront donc construits sous cette même précaution. Cette condition amène à placer les coffres vis à vis même à l’emplacement des caponnières qu’ils remplacent. De cette façon, un coffre simple remplace une caponnière simple et un coffre double, une caponnière double.

Il y a pourtant une exception à cette règle. Dans la fortification antérieure à 1885, on avait quelquefois, pour raison d’économie, construit une caponnière double tandis qu’il aurait fallu deux caponnières simples. On avait ainsi un mur de façade des embrasures assez exposé, mais on le protégeait par une épaisse voûte nommée visière. La construction de pareille visière n’est plus possible. On sera donc conduit dans ce cas à remplacer une caponnière double par deux coffres simples.

La construction d’un coffre dans l’arrondi d’une ancienne caponnière n’offre aucune particularité. On laisse généralement à la partie de la contrescarpe sa forme arrondie, ce qui est économique et ne présente aucun inconvénient. On ne modifie cette forme que s’il était trop difficile de défendre la totalité du fossé dans cette partie élargie. De plus, la construction d’un coffre de contrescarpe s’effectue avant de supprimer la caponnière, car il ne faut pas affaiblir la défense du fort pendant les travaux. L’emplacement des anciennes caponnières est reconnaissable par l’élargissement du fossé qui était nécessaire à leur construction.

On remarquera qu’avant 1885, le fossé qui s’étendait en avant des organes de flanquement était plus étroit que partout ailleurs. C’est l’inverse qui se produit dans les forts remaniés.

Dessin de l’armement d’un coffre des contrescarpe du fort du Chanot à Toul avec son canon révolver de 40 mm et son canon de 12 culasse. Dessin Jean-Pierre Zedet

Les coffres de contrescarpe

Les premiers coffres de contre escarpe installés dans les forts modernisés sont bâtis en béton spécial. Ils ressemblent à leurs ancêtres en maçonnerie. Ils se composent d’un magasin aux munitions et d’une chambre de tir, généralement armées de deux pièces de flanquement (un canon revolver de 40 mm et un canon de 12 culasse). Ces coffres peuvent être reliés par une galerie à l’épreuve ou isolés du reste de l’ouvrage, dans ce cas leurs accès s’effectuent par le fossé.

La chambre de tir

Avec l’arrivée du béton armé, les coffres de contrescarpe vont évoluer. Ils vont être équipés d’une chambre à canon, armée aussi des mêmes pièces de flanquement. Les deux pièces employées au flanquement du fossé sont placées l’une à côté de l’autre, dans une casemate ayant 4m50 de largeur et 4m de profondeur. La largeur de 4m50 est généralement trouvée un peu faible, elle est donc souvent élargie jusqu’à 5m50.

La chambre de tir du coffre double du fort de Villey le Sec armée de ses deux pièces de flanquement copie de canon de 12 culasse et canon révolver. VAUBOURG Cédric

Les embrasures sont placées dans un mur qui mesure de 1m20 à 1m50 d’épaisseur. Pour diminuer legèrement les dimensions extérieures des embrasures, on aménage devant chaque pièce une niche de 1m90 de hauteur, 2m de largeur et d’une profondeur permettant de réduire l’épaisseur du mur à 1m.

Le seuil des embrasures doit être placé à 3m au-dessus du fond du fossé, de manière à ce qu’on ne puisse pas les obstruer et que le flanquement puisse s’exercer par-dessus les obstacles qui pourraient se produire dans les fossés. Cette hauteur de 3 m peut être réduite jusqu’à 1m50 m lorsqu’on se trouve en terrain rocheux, dans le cas où les éboulements sont moins à craindre. On doit alors placer devant le coffre, un petit fossé diamant dont le fond est tenu à 3m au-dessous du seuil des embrasures, de manière à empêcher l’obstruction des créneaux de tir.

Le coffre double de contrescarpe au fort d’Arches à Epinal et son fossé diamant en 1904.
PRACHT Lionel

Les embrasures sont munies de volets blindés en tôle de 20 mm d’épaisseur. Ils sont destinés à arrêter les éclats des projectiles qui rendraient le coffre intenable pendant le bombardement. Ces volets peuvent être ouverts rapidement. Ils permettent, même fermés, d’observer ce qui se passe dans le fossé. Le cadre qui supporte le volet doit être mis en place pendant la coulée du coffre, de manière à ce qu’il ne risque pas de se desceller sous les vibrations causées par le choc ou l’explosion des projectiles.

Pour empêcher l’enfumement de la chambre de tir, on aménage au-dessus des embrasures, et le plus haut possible, des évents qui favorisent le départ de la fumée.

Le magasin à munitions

Afin d’approvisionner les pièces d’artillerie du coffre, chaque chambre de tir est équipée d’un magasin à munitions qui se trouve à proximité des pièces. Il doit pouvoir contenir un approvisionnement suffisant de munitions. Les cartouches du revolver sont contenues dans des caisses ayant extérieurement des dimensions de 35x35x65cm. Les gargousses du canon de 12 culasse sont contenues dans des caisses à poudre ayant extérieurement des dimensions 50x50x50cm. Les projectiles forment des piles régulières. On donne au magasin les dimensions suffisantes pour contenir la quantité de munitions indiquée par le service de l’artillerie et pour pouvoir les enlever rapidement au moment du besoin.

Equipements divers

On compte pour chaque pièce de flanquement, 3 canonniers et 6 auxiliaires d’Infanterie. D’autre part, le service de l’artillerie à pied dans un fort comprend 24 heures de présence auprès des pièces et 12 heures employées ailleurs.

On en conclut qu’il doit y avoir en permanence pour chaque pièce de flanquement 6 hommes, soit 12 hommes pour un coffre simple et 24 pour un double. Ces hommes ne peuvent rester debout à leur poste de combat, il faut qu’ils puissent goûter quelques repos. On prévoit à cet effet un petit local muni d’un lit de camp pour 7 ou 8 hommes.

Dans un recoin du coffre, on place une latrine ou tinette. Ce détail a son importance, car il empêche que des hommes de la garnison du coffre échappent à la surveillance du commandant de cet organe en prétextant un besoin naturel.

La galerie de communication

Les coffres doivent être reliés à l’intérieur du fort par une communication à l’épreuve. Celle-ci permet au commandant du fort ou à ses délégués de visiter la garnison du coffre et de remonter leur moral, si l’isolement et l’inaction l’avaient abattu.

Ces communications possèdent des précautions particulières, pour empêcher l’envahissement de cette galerie par les eaux, ou pour arrêter un ennemi qui se serait emparé du coffre, et qui voudrait ensuite se rendre dans le fort. On évite le premier danger en plaçant une rigole le long des piédroits de la communication, en réunissant les eaux ainsi recueillies dans un puisard ménagé dans une surépaisseur donnée au radier, et finalement en évacuant ces eaux à l’extérieur au moyen d’une petite pompe ou d’un égout. Cette pompe est placée dans une niche percée dans un piédroit et son tuyau de refoulement traverse la dalle de la communication et vient déboucher au-dessus de la cunette du fossé. On prévient le deuxième danger au moyen de grilles et porte blindées destinées à arrêter l’ennemi assez longtemps pour qu’on ait pu prendre des dispositions de défense contre lui.

La sortie dans le fossé

A côté de cette communication à l’épreuve, on prévoit toujours pour les coffres une entrée débouchant directement sur le fossé. Elle permet d’armer le coffre en temps de paix et de faire sortir la garnison si la communication souterraine venait à être détruite.

Cette entrée est munie d’une grille à barreaux épais et en arrière, d’une porte en tôle percée de créneaux. Le seuil de la porte est tenu à 3m environ au-dessus du fond du fossé ou au-dessus d’un haha placé au pied du coffre. Pour armer le coffre, on installe une rampe de circonstance. Quelquefois, la porte en tôle peut servir de passerelle.

Quelque soit la manière dont les deux embrasures des pièces ait été tracées, il reste toujours autour des coffres des parties qui ne sont pas battues. On donne des feux dans cette région en disposant un certain nombre de créneaux de fusillade horizontaux, verticaux, de pied, ou à deux fins. On les perce soit dans la chambre de tir, soit dans le magasin, soit dans l’abri pour les hommes, soit enfin dans une galerie particulière.

On donne par le même procédé des feux dans le fossé qui peuvent se trouver sous les embrasures ou à l’entrée du coffre.

Eclairage de nuit et divers

Il importe que le coffre puisse agir non seulement le jour mais la nuit. C’est en effet pendant la nuit que l’ennemi aurait le plus de facilité pour tenter un assaut ou pour détruire la grille d’escarpe. On installe des lampes oxyacétyléniques analogues à celles employées dans la télégraphie optique.

On les munit d’un réflecteur parabolique en maillechort. Celles-ci sont placées le plus haut possible à 1m50 du plan vertical contenant la grille d’escarpe à surveiller. Les joues du créneau d’éclairage doivent être tracées de manière à ce que le fossé soit éclairé tout entier, mais qu’aucun faisceau lumineux ne puisse en sortir et soit par conséquent visible du terrain extérieur. On absorbe les rayons qui pourraient se réfléchir sur les joues du créneau en recouvrant la maçonnerie près de la lampe d’une peinture noire mate. Ces dispositions sont prises pour que la lampe puisse être mise en batterie ou éclipsée le plus rapidement possible. Un volet en tôle doit pouvoir au besoin obturer le créneau. Vers 1913, certains forts munis d’usine électrique seront équipés d’un projecteur à arcs électriques.

Enfin, chaque coffre dispose d’un créneau de visé permettant de surveiller le fossé sans s’installer au-devant des pièces.

Pendant cette période, les coffres de contrescarpe seront connectés au réseau de téléphonie de l’ouvrage, ce qui facilitera la communication avec le poste de commandement du fort.

Les murs de pourtour adossés aux terres ont 2m d’épaisseur, car le coffre est profondément enterré au-dessous du sol. Le mur de façade qui n’est pas exposé au choc direct des projectiles à 1m50 d’épaisseur au maximum. Le coffre est recouvert par une voûte en béton armé de 2m d’épaisseur.

Plan en coupe d’un coffre double de contrescarpe. VAUBOURG Cédric

Comme, l’emplacement même du coffre ou ses abords immédiats sont particulièrement avantageux pour lancer des ponts volants, on a surmonté le coffre et la partie voisine de l’escarpe d’une grille défensive. Dans certains fort de la place d’Epinal, cette grille sera remplacée par une petite visière qui assure la même fonction.

Des galeries de contre-mines équipées de chambres d’écoute sont installées dans les forts où le terrain est peu rocheux, elles servent à écouter si l’ennemi creuse une galerie pour faire exploser le coffre. Dans ce cas, il suffit de faire exploser une charge pour que l’adversaire arrête de creuser.

Les caponnières renforcées

La caponnière de gorge renforcée et sa grille défensive du fort d’Uxegney. VAUBOURG Julie

Les caponnières des fronts de gorge ont généralement leurs murs de pourtour non exposés au choc direct des projectiles. On peut donc les maintenir comme emplacement en les protégeant toutefois au moyen de massifs en béton à l’épreuve. Les premières caponnières bétonnées seront entièrement reconstruites en béton spécial. L’apparition de dalles en béton armé dans lesquelles la « poussée au vide » n’est pas à craindre, permet de renforcer les anciennes caponnières d’une façon économique. Le plus souvent on supprime les voûtes de l’ancienne caponnière en laissant subsister les piédroits. On place alors sur ces piédroits une dalle armée d’épaisseur convenable. Enfin, on renforce le mur de fond en y plaçant une épaisseur de 2m à 2m50 de béton spécial. Ces caponnières modernisées possèdent souvent les mêmes équipements que les coffres de contrescarpe (Lits de camps, latrine, pièces d’artillerie, magasins aux munitions, etc).

Les coffres d’escarpe

La façade du coffre d’escarpe et l’entrée de guerre du fort du Vézelois à Belfort. VAUBOURG Julie

Certains coffres d’escarpe seront renforcés, afin de mieux protéger les servants. Leurs améliorations et leurs équipements seront similaires à ceux des coffres de contrescarpe. On y trouve des lits et des latrines, ainsi que des locaux pour y stocker les réserves en munitions. Ces casemates seront entièrement reconstruites. Elles possèdent des piédroits en béton spécial ou en maçonnerie et une dalle en béton armé afin de les adapter aux nouveaux obus.

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