Le fort à massif central et à batterie haute ou à cavalier
Nous allons décrire dans son ensemble en suivant l’ordre les cinq éléments dont se compose tous les types de fortification. Le type préconisé par le Rapport de 1874 pour les forts proprement dits est le « fort à massif central et à batterie haute » ou plus simplement « fort à cavalier ».
C’est, en somme, celui qui avait été appliqué un peu avant la guerre franco-allemande, aux nouveaux ouvrages de Langres et de Metz.
Ce qui le caractérise, c’est l’existence d’un parapet haut, portant les bouches à feu de gros calibre destinées à la lutte éloignée, et tirant par-dessus un rempart bas occupé par l’infanterie et par les pièces légères affectées à la défense propre de l’ouvrage. Mais outre un certain nombre de détails de construction, le fort postérieur à 1870 se distingue de celui qui le précédait par l’emploi du tracé polygonal.
Le tracé bastionné, auquel les ingénieurs français avaient jusque-là donné la préférence, ne s’applique qu’à des fronts d’une longueur assez grande (200m environ), qui correspondait à peu près à ceux des forts de Metz.
Après 1870, on voulut construire des ouvrages plus petits et surtout plus aplatis, afin de profiter de la moins grande précision de l’artillerie en portée qu’en direction. On fut ainsi conduit à adopter, en principe, le tracé polygonal, sauf pour les fronts de gorge, qui, étant plus longs, purent être dans certains cas établis suivant le système bastionné.
Tout fort détaché comprend :
- Un front de tête, rectiligne ou brisé en dehors, faisant face à la direction générale de l’attaque.
- Deux flancs, battant les intervalles entre le fort et les ouvrages voisins.
- Un front de gorge, tourné vers le noyau central.
Obstacles
Aux termes du Rapport du 9 Mai 1874, l’obstacle était constitué par un fossé flanqué, en principe, sur les fronts de tête et les flancs, par des caponnières attachées à l’escarpe (caponnières doubles pour battre deux directions, caponnières simples ou ailerons pour une seule direction).
Les fossés étaient tracés de façon à n’être pas enfilables, ou tout au moins à ne l’être que dans un seul sens. Cette condition conduisait parfois, surtout dans le cas d’un fort occupant un saillant accentué de la ligne principale, à constituer le front de tête par deux faces faisant entre elles un angle assez peu ouvert ( 90° à 120°).
La caponnière battant chaque fossé était placée de façon à tourner le dos aux coups dangereux. Tout en observant cette condition, on cherchait, par raison d’économie, à réduire au minimum le nombre des organes de flanquement.
Le front de gorge était, suivant les cas, rectiligne ou brisé en dedans. Cette brisure, destinée à mieux défiler les organes de flanquement, avait en outre l’avantage de réduire la profondeur et, par suite, la vulnérabilité de l’ouvrage.
On a employé aussi quelquefois pour la gorge le tracé bastionné proprement dit, et beaucoup plus fréquemment le tracé pseudo bastionné, dans lequel le flanquement est obtenu, soit concurremment avec les crêtes des flancs, soit exclusivement, au moyen de coffres d’escarpe établis dans l’escarpe de ces flancs, disposition qui permet de réduire la courtine autant qu’on le veut.
Pour éviter que ces deux casemates puissent tirer l’une sur l’autre, on brisait souvent la courtine suivant les directions des faces des demi-bastions.
Pour compléter ce qui vient d’être dit, voici quelques exemples de tracés avec les organes de flanquement de forts de différents types:
- Front de tête rectiligne
Coups dangereux venant surtout de droite. Gorge brisée avec caponnière double.
- Front de tête brisé exemple n°1
Les coups dangereux sont à peu près également répartis de part et d’autre de la capitale. La défense de la gorge pseudo bastionnée.
- Front de tête brisé exemple n°2
Coups dangereux venant surtout de droite. Gorge rectiligne avec aileron (Cette configuration est assez rare).
- Front de tête brisé exemple n°3
Gorge rectiligne. 3 caponnières doubles. Disposition rare, pouvant convenir au cas d’un ouvrage qui, par sa situation, échappe aux vues de l’ennemi (par exemple, réduit d’une position dont le pourtour est occupé par des batteries-annexes).
- Front de tête brisé exemple n°4
Dans cette disposition, qui correspond à un saillant accentué de la ligne principale, on a été forcé, pour soustraire le fossé de gorge à l’enfilade, de le former de deux branches faisant un angle presque droit, et dont on a pu obtenir le flanquement très simplement au moyen de galeries ménagées dans l’escarpe, au voisinage de l’entrée. Mais la branche gauche de cette gorge faisant avec le flanc correspondant un angle trop aigu, on a été forcé de créer un pan coupé flanqué par un aileron.
Le couvert
Le parapet d’artillerie avait, dans le fort à cavalier, un relief d’une douzaine de mètres. Son tracé, fait en vue de battre les objectifs éloignés, était complètement indépendant de celui des fossés, et formait à l’intérieur du fort une ligne brisée d’un nombre quelconque de côtés. Les pièces y étaient séparées une à une par des traverses, les protégeant contre les coups d’écharpe et d’enfilade et localisant les effets des explosions de projectiles. Chaque traverse contenait un abri.
Le parapet d’infanterie, d’un relief tout juste suffisant pour battre le terrain des approches (4 à 5 mètres) confinait directement à l’escarpe. Son tracé pouvait cependant, s’écarter sensiblement de celui des fossés et, en particulier, présenter des pans coupés aux saillants, où étaient ménagés des emplacements pour pièces légères. Il était coupé par quelques traverses.
Ce parapet bas faisait, en général, tout le tour de l’ouvrage, y compris la gorge. Celle-ci n’étant pas exposée aux attaques régulières, n’était en effet organisée que pour l’infanterie et l’artillerie légère.
Le parapet d’infanterie était protégé contre les coups de revers et à dos, sur le front de tête et les flancs, par le massif du cavalier. Mais le front de gorge se trouvait en général trop en arrière de ce dernier pour être par adossé par lui. On établissait alors, dans ce but, un parados spécial aussi rapproché que possible de la gorge, et qui couvrait en outre une communication permettant de se rendre en toute sécurité depuis l’entrée du fort jusqu’au cavalier.
Ajoutons que les talus et plongées des deux parapets étaient couverts de plantations ayant pour but, non d’empêcher l’ensemble du fort de se détacher sur le terrain environnant, mais de masquer les points de chute des projectiles et aussi de rendre moins visibles les traverses du cavalier, qui en se profilant sur le ciel, décelaient les emplacements exacts des pièces. A cet effet, on employait des arbres à feuillage persistant.
Des casemates à tir indirect, pour mortiers, étaient placées au bas des talus extérieurs du cavalier et du parados de gorge. Elles furent abandonnées au bout de quelques années vers 1880. Enfin quelques forts furent dotés, à partir de 1876, de tourelles Mougin modèle 1876 en fonte dure, que l’on plaça aux saillants de l’enceinte basse.
On peut rattacher au couvert ce que l’on appelle maintenant les abris de rempart, c’est-à-dire des locaux à l’épreuve où les défenseurs se tiennent, à proximité immédiate de leurs postes de combat, prêts à gagner ceux-ci au premier signal. Ils étaient constitués à l’époque par les abris sous traverse.
Les abris passifs
Les massifs élevés du cavalier et des parados étaient tout indiqués pour recouvrir la plus grande partie des locaux à l’épreuve. La caserne principale était toujours placée sous une partie du cavalier, choisie de telle façon que la façade ne pût recevoir aucun coup de revers. Elle avait 2 ou même 3 étages. Les traverses de la partie correspondante du cavalier étaient construites sur les voûtes de cette caserne, avec laquelle les abris communiquaient par des monte-charges.
Des locaux accessoires (logements d’officiers, etc) étaient placés sous le parados de gorge, la façade tournée vers l’intérieur de la place.
Les magasins à poudre étaient, soit sous ce même parados, soit sous les flancs du cavalier.
Il y avait enfin quelquefois des locaux sous la partie médiane du parapet de gorge, où se trouvait l’entrée du fort.
Communications
L’entrée du fort se faisait vers le milieu de la gorge, soit au niveau du fond du fossé ou au niveau du sol extérieur.
La rue du rempart faisait le tour de l’ouvrage en passant entre le cavalier et le parapet bas. Des gaines voûtées à l’épreuve réunissaient les locaux contenus dans le massif du cavalier et permettaient de passer sous celui-ci pour gagner le parapet bas. Enfin les caponnières étaient reliées à la rue du rempart par des descentes voûtées.
Armement garnison et approvisionnement
D’après l’Instruction de 1874, l’armement des forts pouvait varier de 36 à 80 pièces (y compris celles affectées à la défense propre et au flanquement des fossés) et la garnison de 500 à 2400 hommes.
Les approvisionnements étaient prévus pour 2 mois, au delà de ce temps, le ravitaillement devait se faire par le noyau central.
C’est sur les bases qui viennent d’être exposées que furent construits la plupart des forts de Paris, quelques-uns à Lyon et un petit nombre dans les autres places.
Le fort à massif central et à batterie basse
Dans le fort à massif central et à batterie basse, toute l’artillerie, qu’elle soit destinée à la lutte éloignée ou à la défense rapprochée, est installée sur le parapet bas, lequel est traversé de pièce en pièce. Le massif central, qui recouvre la plus grande partie des abris passifs, ne porte plus qu’une crête d’infanterie, quelquefois coupée par de petites traverses.
La crête d’artillerie, tracée en vue de son rôle particulier, s’écarte assez des escarpes pour qu’on ait pu, dans les saillants, installer des crêtes basses ou bonnettes, destinées également à l’infanterie.
Le parapet bas est paradossé, sur le front de tête par le massif central, et souvent sur les flancs par des parados spéciaux reliant les ailes de ce massif à la gorge. Celle-ci est organisée pour l’infanterie.
Un certain nombre de traverses du parapet bas se soudent au massif central : elles sont appelées traverses enracinées. La rue du rempart les traverse par des passages voûtés.
La cour du fort est comprise entre le massif central et le parapet de gorge, dont la distance est en général trop faible pour nécessiter l’existence d’un parados de gorge.
Le principal groupe de casemates logements se trouve sous le massif central, avec une façade sur la cour tournée vers le noyau central. Il comporte souvent un rez-de-chaussée et un étage.
Il existe généralement d’autres locaux sous la gorge, et parfois ceux-ci, qui sont à simple rez-de-chaussée, ont une façade sur la cour en regard de celle du massif central. Cette façade est donc tournée vers l’ennemi, mais son sommet est défilé, au moins au 1/4, par le massif central. La largeur de la cour doit être déterminée en conséquence.
Cependant, certains forts, susceptibles, par suite de leur emplacement, d’être enveloppés par les batteries ennemies dans un secteur étendu, présentent une disposition différente de celle que nous venons de décrire. Le massif central, isolé sur tout son pourtour du parapet bas par la rue du rempart, entoure lui-même une cour étroite de part et d’autre de laquelle se développent les façades, de même hauteur, de deux corps de casemates, le couronnement de chacune d’elles étant défilé au 1/4 par le terrassement qui surmonte l’autre.
Cette cour intérieure dont la plus grande dimension est orientée dans la direction la moins propice à l’enfilade, n’est pas forcément perpendiculaire à la capitale. Cette dernière configuration sera principalement retenue pour les forts isolés d’arrêt ou de rideaux et pour quelques forts détachés.
Comparaison des deux types de forts
Nous pouvons maintenant comparer les deux types de forts qui viennent d’être décrits, en ce qui concerne la lutte éloignée, la défense rapprochée, ainsi qu’ au point de vue économique.
1° – La lutte éloignée – Dans les deux types, les crêtes d’artillerie étaient tracées en vue de battre les objectifs éloignés. Le tir était aussi facile dans le fort à massif central que dans l’autre, car si l’observation ne pouvait pas se faire de la batterie basse, elle se faisait du massif central.
La visibilité des traverses, se détachant sur le ciel, constituait dans le cas du fort à cavalier, une facilité pour le réglage en direction du tir de l’attaque. Nous avons vu qu’on y remédiait dans une certaine mesure au moyen de plantations.
En revanche, le réglage en portée du tir ennemi était rendu plus difficile par le fait que les coups longs passant par-dessus le cavalier ne pouvaient être observés. De plus, ces coups étaient inoffensifs pour les servants de la batterie haute.
Dans le fort à massif central, au contraire, les coups courts venant éclater sur le talus extérieur du parapet et les coups longs sur celui du massif central pouvaient également être observés. Ces derniers risquaient de renvoyer des éclats et des mottes de terre sur les servants. Ce dernier inconvénient, pouvait, être atténué en constituant ce talus par de la terre meuble. On se réservait en outre d’élever en cas de besoin, des écrans en clayonnage pour arrêter ces débris.
Le principe de la concentration de l’artillerie dans les ouvrages étant supposé admis, les deux types de fort se valaient au point de vue de la lutte éloignée.
2° – La défense rapprochée – Dans le fort à cavalier, les crêtes basses, tracées pour battre le terrain des abords, remplissaient convenablement leur rôle. Les fantassins n’avaient pas à craindre les éclats en retour des projectiles ennemis venant éclater sur le talus extérieur du cavalier, puisqu’ils ne devaient occuper leurs postes de combat qu’après la fin du bombardement.
Dans le fort à batterie basse, la principale crête d’infanterie était celle du massif central.
Généralement trop courte, tracée indépendamment du terrain, elle ne pouvait que donner des feux fichants, par suite peu efficaces. De plus, l’artillerie légère qui devait coopérer à la défense rapprochée était en batterie derrière la crête basse, et l’on peut se demander si la crainte d’atteindre les servants de ces pièces n’eût pas fait renoncer à l’emploi de la crête du massif central, si ce n’est comme simple poste de surveillance. Aussi avait-on organisé aux saillants des bonnettes donnant des feux rasants. On avait aussi l’intention d’utiliser la crête basse comme crête d’infanterie après enlèvement des pièces démontées. Il aurait fallu tailler une banquette d’infanterie dans un parapet bouleversé par les projectiles. De plus, les fantassins, séparés par les traverses en groupes de cinq ou six, n’auraient guère été dans la main de leurs chefs.
En résumé, tandis qu’au point de vue de la lutte éloignée, les deux genres de forts étaient équivalents, le type à batterie basse était nettement inférieur en ce qui concerne la défense rapprochée. Pour quels motifs ce dernier type remplaça-t-il donc définitivement le premier ? Surtout pour des raisons d’ordre économique.
A égalité d’armement, le fort à massif central était beaucoup moins étendu que le fort à cavalier, puisque la crête d’artillerie, de même longueur dans les deux, constituait dans l’un une ligne enveloppante et dans l’autre une ligne enveloppée. Etant moins grand, il exigeait une garnison moins nombreuse, par suite une caserne et des magasins plus réduits. Enfin les terrassements étaient moins importants. Le fort coûtait donc moins cher. De plus sa construction était plus rapide (2 ans au lieu de 3) et il pouvait être armé avant d’être terminé, tandis que dans le fort à cavalier, l’armement ne se faisait qu’en dernier lieu.
On comprendra l’importance qu’avaient ces considérations, si l’on se rappelle, d’une part, combien nos finances avaient été accablées par la guerre, et d’autre part, que l’époque où l’on eut à se prononcer entre les deux genres de forts était celle où nous craignions à chaque instant de subir une nouvelle invasion.
Quoiqu’il en soit, le fort à batterie basse ne satisfaisait pas tous les ingénieurs militaires et, au moment ou apparurent les projectiles à explosifs brisants, on semblait devoir l’abandonner à son tour pour revenir au type d’avant l’artillerie rayée, c’est-à-dire au fort sans massif central.
Le fort sans massif central ou crête unique
Ce genre de fort n’a été employé, en France, de 1874 à 1885, que pour des ouvrages secondaires (petits forts ou batteries intermédiaires). Mais les Allemands ont construit, à la même époque, de grands forts sans massif central, entre autres ceux qu’ils ont élevés autour de Strasbourg.
Ces forts peuvent être plus aplatis que les forts à massif, donc moins vulnérables. Les casernements sont aménagés sous le parapet du front de tête ou sous celui de la gorge. Dans le premier cas, on donne aux crêtes un relief souvent exagéré. Dans le second, les communications entre la caserne et les parapets sont peu sures, à moins qu’on n’établisse, une grande traverse en capitale. Celle-ci peut d’ailleurs être utile pour défiler les façades des casernement établis sous le front de tête.
Avec leur crête unique, ces forts se prêtent mal à la défense rapprochée. Ils sont souvent équipés d’une escarpe détachée crénelée, derrière laquelle régnait un chemin de ronde de 2 mètres de largeur.
Les batteries annexes
Il existe plusieurs types de batteries annexes.
- Le premier type de batteries est très rapproché des forts et sous leur protection immédiate. Elles ont été créées pour réduire les dimensions de l’ouvrage principal. Ces batteries à hauts reliefs sont de simples épaulements, avec traverses abris.
- Le deuxième type de batteries est plus éloigné des forts. Elles sont entourées d’un fossé, généralement battu à l’aide de coffres flanquant pour l’infanterie. On faisait en sorte que, depuis le fort, on pouvait tirer dans l’intérieur de la batterie, pour la rendre intenable à l’ennemi qui s’en serait emparé.
- Enfin le dernier type comprend les batteries annexes ou intermédiaires qui échappaient à la protection des forts. Elles sont de petits forts à fossés flanqués, souvent sans massif central, mais avec locaux d’habitation, magasins, etc.