La crise de l’obus torpille

Depuis le Moyen-Âge, les fortifications sont construites en maçonnerie de moellons et évoluent en fonction des améliorations de l’artillerie. Mais, à partir de 1883, jusqu’en 1886, une nouvelle crise rend vulnérables les fortifications Séré de Rivières et toutes les fortifications construites en Europe à cette période. Cette crise appelée « crise de l’obus torpille » découle de l’invention de nouveaux obus destinés à paralyser ou à détruire ces ouvrages modernes.

La mélinite

À partir 1871, on cherche à remplacer la poudre noire dans les obus, mais aucun explosif ne peut assurer puissance et stabilité. Il faut attendre 1881, pour qu’un chimiste, Eugène Turpin, découvre deux explosifs destinés au remplissage des projectiles, appelés « explosifs brisants ».

Le premier est étudié d’après un obus allemand, mis au point en 1880, chargé d’Helhoffite. Ce projectile contient un liquide, l’acide nitrique qui devient explosif en se mélangeant avec du carbure d’hydrogène nitré. Le mélange se fait dans l’obus au départ du coup, il n’y a pas besoin de détonateur car l’explosion se produit à l’impact.

Ce projectile a été testé sur des fortifications allemandes et il s’est montré très efficace sur les maçonneries. La version Française se compose de deux liquides, le protoxyde d’azote et nitrobenzène. Elle sera baptisée par Eugène Turpin «panclastite» et donnera des résultats satisfaisant sans résoudre le problème du chargement des obus qui était compliqué.

Le second explosif est à base d’acide picrique ou Trinitrophénol, il était employé pour la coloration des jouets en caoutchouc qu’il fabriquait. Ce composé chimique découvert par Peter Woulfe en 1771 est un excellent colorant qui produit une violente explosion s’il est chauffé à plus de 300°. L’acide picrique est peu sensible aux chocs, pour la placer dans un obus, Eugène Turpin la rendra plus stable, en la recristallisant après fusion, en fondant l’acide à 122° sans risquer de la faire exploser.

D’après Eugène Turpin, le nom de « mélinite » aurait été substitué à celui d’acide picrique, par l’Administration de la Guerre, pour essayer de masquer la nature de l’explosif qui allait être adoptée et en raison d’une certaine ressemblance avec le miel (en Grec, méli, et en latin, mel) de l’acide picrique (picros) jaune à l’état de poudre.

La mélinite a un coefficient de travail lors de son exposition qui est deux fois plus puissant que la poudre noire de mine forte. Son grand avantage est, comme l’a dit pittoresquement son inventeur, que « c’est un explosif qui n’explose pas », ou à peu près : un explosif très stable, très dur à la détente, qu’on peut mettre dans les obus sans risquer de les voir éclater dans le canon même, au départ, comme cela a eu lieu avec la dynamite ou la nitroglycérine. Seulement, pour pouvoir utiliser cet acide picrique fondu, il fallait introduire un détonateur intermédiaire.

Il faut attendre 1884, et des essais non concluant avec des détonateurs à base de poudre noire pour trouver un détonateur mis au point d’après le brevet d’Eugène Turpin, à base de fulminate de Mercure. Le déclenchement du détonateur était produit par le choc de l’impact du projectile qui provoquait l’écrasement d’une capsule de fulminate produisant une détonation qui se transmettait d’abord à une pincée d’acide picrique en poudre, plus sensible qui faisait ensuite réagir l’acide picrique fondu. Il était possible de retarder un peu l’éclatement de l’obus, en intercalant une traînée de poudre noire avant la capsule de fulminante. On obtenait de la sorte une fusée à retardement que l’on placera sur des projectiles qui étaient destinés à atteindre les abris des fortifications sous l’épaisse couche de terre.

En fait, la notion du double détonateur a été très fructueuse; elle a permis l’emploi par l’artillerie d’explosifs extrêmement puissants, qui, en même temps, étaient très peu sensibles; elle a rendu par la suite l’utilisation d’autres explosifs, nitrotoluènes, nitrobenzènes, Nitronaphtalènes, etc., dont autrement on ne pouvait guère tirer parti.

Le détonateur joue donc un rôle capital dans l’utilisation des explosifs. Il constitue un intermédiaire plus sensible, qu’on fait partir par la chaleur ou le choc, et qui, à son tour, fait partir l’explosif dont on l’a rendu maître.


L’obus cylindro-ogival ou obus torpille

L’origine de cet obus remontait à l’apparition de l’artillerie rayée. A cette époque, on songea à employer la grande capacité qu’offrait les obus cylindriques, pour les garnir intérieurement de poudre et leur permettre ainsi de jouer le rôle de véritables fourneaux de mine lancés à grande distance. On ne réussit d’abord qu’à placer de très faibles charges de poudre, car, en les augmentant, on obtenait des éclatements prématurés des projectiles dans l’âme même de la pièce.

En France, on étudiait le moyen d’éviter ces accidents en employant la poudre sous une forme spéciale soit comprimée, soit agglutinée, quand on apprit que les Allemands et les Américains avaient réussi à charger leurs projectiles en fulmicoton.

Nous dirigeâmes immédiatement nos recherches de ce côté et, peu de temps après, suite à la découverte d’Eugène Turpin, l’armée adopta un obus chargé avec un explosif brisant la mélinite.

Cet obus à grande capacité est mis au point en 1886, il est fabriqué en acier et non plus en fonte dure, car ce métal permettait d’arriver au minimum possible d’épaisseur des parois dans les différentes sections de l’obus. Le profil à donner en conséquence à la coupe longitudinale de ce dernier augment fortement la quantité d’explosifs.

Par comparaison, un obus de 155 en fonte pesant 40 kg renferme 1,4 kg de poudre noire tandis qu’un obus de 155 en acier pesant 43 kg contient 10,3 kg de mélinite.

Ce type d’obus est baptisé obus torpille, car son principe de fonctionnement était comparable aux torpilles dans la marine.

Il sera testé lors des expériences de tir au fort de la Malmaison en 1886, où il montrera que les fortifications construites en maçonnerie de moellons sont obsolètes et qu’il faut les renforcer avec du béton. Surtout que la France, dans la course aux calibres de plus en plus importants des pièces d’artillerie, vient d’adopter en 1885 le mortier de 270mm modèle 1884, pouvant tirer des obus de 120kg.


L’obus à balles

L’obus à balle remonte à 1784. Il est mis au point par le Lieutenant Henry Shrapnel de l’Artillerie Royale Britannique. À cette période, l’obus possédait une forme sphérique rapidement remplacée par la forme ogivale avec l’apparition de l’artillerie rayée. Cet obus, dont la mise à feu se programme pour permettre au projectile d’exploser en l’air au dessus d’une cible choisie, est utilisé contre l’infanterie ou contre les artilleurs qui servent les pièces d’artillerie à l’air libre.

Après la guerre de 1870 et l’apparition des pièces d’artillerie en acier, l’obus se compose d’une enveloppe qui doit être légère, car elle constitue un poids mort. Elle est remplie avec un chargement constitué par des balles sphériques, en plomb durci à 10 % d’antimoine et par une charge d’éclatement en poudre noire (avant ou arrière), destinée à ouvrir le projectile pour permettre au chargement de se répandre à l’extérieur. Les premiers obus à balles de forme ogivales mis au point étaient à charge avant. Ils étaient fabriqués en fonte pour être destinés aux canons de 120 et de 155. Mais, ces obus seront rapidement délaissés car un grand nombre de balles restaient collées entre elles dans le soufre après l’explosion.

Ces obus seront remplacés en 1883 par un obus plus performant qui possède une charge arrière. Il se compose d’une enveloppe en acier, dans laquelle se visse l’ogive et un chargement, constitué par 261 balles de 12 grammes, en plomb durci à 10 % d’antimoine pour l’obus de 75. Ces balles sont agglomérées par de la colophane de façon à former un bloc compact et adhérent à la paroi. La colophane produit en outre une fumée épaisse lors de l’éclatement. L’explosion de l’obus est produite par une charge d’éclatement de 110 grammes de poudre F3 qui créée un feu communiquant de la fusée à la charge de poudre arrière, celle-ci déflagre l’ogive qui se détache. Le corps d’obus reste intact et fonctionne comme un véritable petit canon qui propulse les balles à grande vitesse vers l’avant.

Ces obus qui sont les plus fiables des obus à balles sont destinés aux canons de 65, 75, 105, 120 et 155.


L’obus à mitraille

Les obus à mitraille sont utilisés comme l’obus à balles. Ils sont mis au point après 1885, pour être destinés aux pièces de 80, 90, 95, 120 et 155. Ces projectiles sont constitués d’une enveloppe réduite au strict minimum. La plus grande partie de la masse de l’obus se fragmente en éclats à l’explosion de la charge.

L’obus est organisé avec des galettes de fonte, dressées à la meule sur leurs 2 faces empilées sur un culot en acier, et surmontées d’une grenade en fonte destinée à recevoir la charge explosive. La face inférieure de la grenade, les deux faces de chaque galette et la face supérieure du culot présentent des alvéoles demi-sphériques où sont logées des balles (416 balles de 25 gr pour l’obus à mitraille de 155 Mle 1887). Les galettes sont évidées en vue d’en préparer la fragmentation. Ces vides sont remplis de charbon de bois en poudre fine qui donne, au moment de l’explosion, un nuage susceptible de renforcer celui que produit la charge explosive.

Pour pallier à ces deux type d’obus, il faut disperser les pièces d’artillerie lourdes dans les intervalles et placer les pièces d’artillerie des fortifications sous tourelles cuirassées ou sous casemates bétonnées.


Le coton-poudre gélatinisé ou poudre B

Les poudres B ou poudres colloïdales sont de nouvelles poudres explosives à base de nitrocellulose mises au point en 1884, par l’ingénieur Veille au laboratoire central des poudres et salpêtres à Paris. Elles sont utilisées comme charges propulsives des obus car elles possèdent une combustion complète sans résidus qui ne produit pas d’encrassement ou de fumée. Elles empêchent de ce fait les artilleurs d’être encombrés par la fumée après le tir et elles rendent les pièces d’artillerie plus difficiles à localiser aux yeux de l’ennemi. La manipulation de cette poudre est sans danger, car à l’air libre, Elle brûle lentement. Elle ne déflagre que sous une pression assez forte. Sa vitesse de combustion régulière et réglable la rende apte aux emplois balistiques dans les bouches à feu de modèles très divers et sa force de propulsion est trois fois plus forte que celle des poudres noires. Cette poudre sera aussi utilisée pour les armes portatives (fusils).


Expériences de la Malmaison

Les expériences de tir sur le fort de la Malmaison, exécutées du 11 août au 25 octobre 1886, ont été organisées et suivies par une délégation des Sections techniques de l’Artillerie et du Génie. Elles n’ont comporté que des tirs d’obusier de 155C et de mortier de 220, seules bouches à feu pour lesquelles on disposait, alors, d’obus allongés donnant satisfaction. Le nombre des coups tirés a été de 242 (167 de 155 et 75 de 220) grâce à des tables de tir sommaires qui avaient été établies préalablement à cet effet par la Commission de Bourges.

Le but des expériences était de se rendre compte, au plus tôt, des effets à attendre des nouveaux projectiles sur les éléments existant de la fortification et sur leurs abords. Dans ce but, on a procédé à des éclatements au repos, à des relevés, sur le sol, des gerbes d’éclats donnés par des éclatements d’obus après ricochet, à des tirs sur le sol et sur des abris voûtés, ainsi que sur les escarpes et contrescarpes.

On a étudié, enfin, les effets de pénétration des obus allongés dans les terres.

Les effets d’éclatement au repos ont montré qu’à part quelques très rares gros éclats, lancés parfois à plusieurs centaines de mètres, la presque totalité des éclats à une zone d’action relativement réduite.

Les relevés des gerbes données par les éclatements après ricochets, ont fourni une première idée de la répartition des éclats: ceux-ci sont projetés normalement à la surface du projectile; d’où une gerbe d’ogive, une gerbe perpendiculaire au grand axe de l’obus et une gerbe de culot.

On a pu également constater la grande vitesse des éclats en mesurant leur enfoncement dans la maçonnerie à la suite de l’éclatement d’un obus dans la cour des casernements du fort; lors de cet éclatement, une fenêtre, blindée en rails de chemin de fer, à 5 mètres de l’entonnoir, a eu un rail nettement coupé et onze autres traversés. Des madriers de 0,10, à 25 mètres de l’éclatement, ont été percés.

L’action sur les terres a été étudiée par des explosions au repos de charges de mélinite, d’une douzaine et d’une trentaine de kilogrammes, soit en obus de 155 et de 220, soit en pétard et par des tirs de 155 et de 220.

Dans les explosions au repos, lorsque la ligne de moindre résistance était supérieure à 3 mètres pour la charge d’une douzaine de kilogrammes, il ne se produisait pas d’entonnoir, les terres étant simplement boursoufflées et crevassées. Quand il y avait entonnoir, ce dernier était d’environ 4 mètres de diamètre.

La charge d’une trentaine de kilogrammes a donné des résultats analogues, le chiffre de 3 mètres pour la ligne de moindre résistance étant remplacé par 4 mètres environ et le diamètre de l’entonnoir étant porté à 5 mètres environ.

Dans les tirs du mortier de 220, les obus n’ayant, lors de l’éclatement, qu’une pénétration verticale inférieure à 4 mètres, il y a toujours eu entonnoir, alors que les tirs du 155C en ont rarement donné. On a  trouvé que, pour l’obus de 155, destiné à agir comme une mine, la ligne de moindre résistance  de limite de son action est de 2m 10.

Avec des tirs à 45 degrés du 155, avec retard, un tiers des coups seulement a donné des entonnoirs; dans le tir sans retard, au contraire, un coup seulement sur 12 n’en a pas donné. Avec le 220, il y a toujours eu entonnoir, même dans le tir avec retard.

L’action sur les maçonneries a été étudiée suivant les mêmes principes. Les effets des obus tirés ont été supérieurs à ceux des pétards contenant la même charge.

Un obus de 155 a crevé, suivant un cercle de 3 mètres de diamètre, une voûte de 0m 80 d’épaisseur, dont il était séparé par un matelas de terre de 1m 70.

Un piédroit de 0m 80 d’épaisseur a été disloqué par l’éclatement d’un obus de 155, dont il était séparé par un matelas de terre, de 5 mètres d’épaisseur.

Naturellement, les effets du 220 ont été encore plus grands: les voûtes de 1 mètre d’épaisseur ne lui ont pas résisté, même avec un matelas de terre de 1m 50 d’épaisseur.

En poussant au vide, c’est-à-dire en faisant éclater l’obus près de la face intérieure du mur de revêtement, un seul obus de 155 a pu faire une brèche de 4m 50 de large, et un obus de 220, une brèche de 7 mètres.

Ces divers résultats fournissaient une base pratique pour le remaniement des ouvrages existants, que le progrès considérable réalisé par l’Artillerie rendait nécessaire. Ils montraient, en outre, que la maçonnerie ordinaire ne convenait plus à la fortification future. Ils ont été confirmés et complétés par les expériences suivantes, exécutées à Bourges.


Expériences de Bourges contre des ouvrages de fortification

Ces expériences ont été exécutées, du 13 décembre 1886 au 4 mai 1887, par une « Commission spéciales, organisée en octobre 1886. Elles ont porté sur six abris de fortification, les uns en béton, les autres en moellons, construits sur le polygone de Bourges, suivant les propositions de la « Commission de révision de l’Instruction du 9 mai 1874 ». Près d’un millier de coups de divers calibres, à raison d’un tiers en obus ordinaires et de deux tiers en obus allongés ont été tirés. La Commission spéciale a conclu comme il suit: les abris ne doivent plus être construits en moellons, mais en béton, et la terre doit être remplacée par du sable. Le second rapport sommaire de cette Commission donne, à l’appui de cette conclusion, des renseignements détaillés sur les effets des divers coups tirés à Bourges.

La Commission de Bourges, a, en outre, exécuté des tirs sur des bétons à divers dosages et sur des plaques en fer et en acier. Les deux Notes qu’elle a établies sur ces essais sont examinées dans une lettre du Président du Comité du 5 mars 1889. Ces essais complémentaires ont essentiellement confirmé les conclusions des essais de Châlons.

Expériences des forts de Saint-Cyr et de bois d’Arcy.

Ces expériences, exécutées à la fin de l’année 1887, ne concernent que très partiellement les effets des obus explosifs, mais elles intéressent, toutes, l’Artillerie, et c’est à ce titre qu’elles sont résumées ici, dans leur ensemble. Leur but était d’étudier l’enfument des locaux, les moyens d’en assurer  la ventilation, l’habitabilité de ces locaux par des êtres vivants, au cours d’éclatements d’obus explosifs au contact, et, plus particulièrement, dans les expériences de Bois d’Arcy, l’efficacité à attendre du canon-revolver et du canon de 12 culasse contre les ponts volants jetés sur le fossé. Contre ces objectifs, le canon-revolver s’est montré le plus efficace en raison de la rapidité de son tir.

En ce qui concerne l’enfumement, les conclusions ont été de pousser activement la mise en service de la poudre B au point de vue du pointage des pièces.

A partir de 1881, différentes expériences, réalisées en Allemagne et dans le reste de l’Europe sur des fortifications, confirmeront les dégâts causés par les nouveaux obus.


Les expériences du Camp-de-Châlons

Ces expériences ont été exécutées, suivant le programme de la Commission de révision de l’Instruction du 9 mai 1874, par une Sous-Commission, composée d’officiers d’Artillerie et du Génie, souvent appelée « Sous-Commission d’expériences de Châlons ». Leur but était d’abord d’éprouver le fonctionnement et la précision du tir des tourelles, puis leur résistance aux projectiles alors en service ou en essai, ainsi que la résistance à ces projectiles de caponnières cuirassées d’escarpe. Elles ont été terminées dans le premier semestre de 1888.

Expériences sur les tourelles

Les tourelles sont logées dans un même bloc de béton au nombre de trois, à savoir: une tourelle à éclipse (Fives-Lille) type Bussière, armée de deux canons de 155 L, une tourelle tournante type Saint-Chamond, armée de même; une tourelle tournante type Montluçon armée d’un obusier de 155 C (Châtillon et Commentry). Elles sont protégées par des avant cuirasses, composées de secteurs diversement constitués, noyés dans le massif de béton (fonte dure, acier coulé et fer laminé).

Essais de fonctionnement et de tirs de précision des tourelles à éclipse et tournante

Après remaniements à la suite des premiers tirs, la précision du tir de ces deux tourelles a été comparable à celle des matériels de siège; mais la ventilation a laissé à désirer; les salves ont pu se succéder à des intervalles de 2 minutes environ. Les tirs de fonctionnement à exécuter après les tirs d’attaque de plein fouet, n’ont pu être exécutés qu’avec la tourelle de Saint-Chamond, la tourelle de Fives-Lille n’ayant pu être réarmée, après avoir subi les tirs d’embrasure. Le fonctionnement et la précision du tir de la tourelle de Saint-Chamond ont été les mêmes qu’avant les tirs d’attaque. La tourelle Montluçon, non encore armée, n’a pas pris part aux essais de tir.

Obus tirés contre les tourelles.

Ils ont compris, pour le 155 et les mortiers de 220 et de 270 :

 – Des obus de rupture type A (sans chargement) et type B (chargés en mélinite fondue), pesant, en nombres ronds, suivant le calibre, 53, 153 et 286 kilogrammes, dont 1,6 kg, 6 kg et 10 kg. d’explosif et ayant, les uns une tête plate, pour attaquer les surfaces fuyantes (tourelles et coupoles), les autres une ogive pour attaquer les parois verticales; les obus à tête plate sont, le plus souvent, dotés d’ogives rapportées en zinc.

– Des obus allongés contenant, suivant le calibre, 12, 36 et 65 kg de mélinite.

– Des obus à grande capacité, appelés aussi obus-pétards, ainsi nommés parce qu’ils sont organisés de façon que, leur partie antérieure s’écrasant au choc, le centre de gravité du chargement se rapproche le plus possible de l’obstacle à briser. A cet effet, ces obus, longs de 2 cal. 1/2, ont une tête hémisphérique non trempée. L’obus-pétard de 270 pèse 120 kilogrammes, dont 40 kg de mélinite. Pour une charge donnée d’explosif, cet obus a fourni à Châlons, les meilleurs résultats.


Principaux effets des tirs d’attaque.

Les tirs de plein fouet à obus de rupture de 155 ont été exécutés à 150 mètres, avec des charges donnant les vitesses au choc des projectiles du même calibre, tirés à 2500 ou 3000 mètres, avec les canons de 15,5 centimètres les plus puissants de l’époque. Les obus qui n’ont pas ricoché ont donné seulement des empreintes d’une douzaine de centimètres de profondeur moyenne, les empreintes des obus, à tête plate, chargés ou non, favorisant la pénétration (sans ricochets) des obus à ogive. 

Les tirs d’embrasure ont été exécutés avec des obus ordinaires, des obus à mitraille et des obus allongés de 90 millimètres, tirés à 2400 mètres, et, ensuite, avec des obus de rupture de 155, tirés à 150 mètres. Des tirs d’infanterie contre les embrasures ont été aussi essayés avant les tirs d’embrasure de 155.

Les effets des obus de 90 sur les cuirassements mêmes ont été insignifiants. Des éclats ont, par contre, pénétré par les embrasures incomplètement obstruées de la tourelle tournante et un seul obus allongé a brisé les deux volées des faux canons en fonte, qui faisaient saillie hors de la tourelle, alors que les bouches des canons de la tourelle à éclipse ont reçu seulement des éclats.

Les tirs d’infanterie n’ont rien donné sur le personnel de la tourelle à éclipse et à peu près rien sur celui de la tourelle tournante.

Les tirs d’embrasure, de 155 ont brisé les faux canons de la tourelle tournante; ils ont, en outre, empêché de réarmer la tourelle à éclipse.

Les tirs d’attaque sous de grands angles, à 2700mètres, ont absorbé: 50 obus pétards de chacun des mortiers de 220 et de 270, tirés sous 30 degrés; 26 obus allongés de 155, 64 de 220 et 36 de 270, tirés sous 30° et 45 degrés; 96 obus de rupture, type B (22 de 155, 42 de 220, 32 de 270), tirés sous 45 et 60 degrés.

La tourelle à éclipse a reçu 4 coups sur la paroi verticale et 12 sur le toit. Contre  la paroi verticale, ces coups ont aggravé les effets des tirs de plein fouet et, sur le plafond, ils ont détaché des ménisques, qui ont causé, par leur chute, de graves avaries aux mécanismes.

La tourelle de Saint-Chamond a reçu 9 coups et a mieux résisté; il ne s’est détaché qu’un ménisque.

Le ciel de la tourelle pour 155 C a été mis hors de service par 6 obus allongés (4 de 220 et 2 de 270).

Les coups tombés sur les avant-cuirasses ont produit peu de dégâts.

Le massif enveloppe, en béton, a reçu 98 projectiles, à savoir 17 obus de rupture des trois calibres employés, 55 obus allongés des trois calibres et 28 obus-pétards des deux mortiers. Ils ont causé souvent des entonnoirs, dont la profondeur a varié de 0,4 m à 1mètre.

Les tirs exécutés sur les avant-cuirasses, préalablement dégagées du béton qui les couvrait en avant, ont donné les résultats suivants : 17 obus de rupture des types A et B, ont détruit le voussoir en fonte dure de la tourelle à éclipse; il en a été sensiblement de même pour celui de la tourelle tournante.

Le voussoir en acier coulé de la tourelle à éclipse a reçu 15 coups et a été perforé. Il en a été de même, après le 7e coup, du voussoir en fer laminé de la tourelle tournante; mais ce voussoir n’a pas été disloqué, ni fendu comme les autres. La perforation a d’ailleurs été causée par plusieurs coups arrivant dans la même empreinte.


Conclusions des expériences de Châlons sur les tourelles.

En raison de la résistance insuffisante des cuirassements, la Commission conclut à la nécessité de l’éclipse pour dérober les tourelles aux atteintes, surtout aux coups d’embrasure. Le fer laminé, comme celui de la tourelle de Saint-Chamond, parait à recommander. Il convient aussi de simplifier les mécanismes de la tourelle à éclipse, et, surtout, de ne pas s’en remettre, pour l’ensemble de ces mécanismes, à une seule distribution d’eau sous pression.

La ventilation est à reprendre.

Les affûts des deux pièces doivent être indépendants l’un de l’autre. Le frein hydraulique avec ressorts Belleville paraît préférable.

L’avant-cuirasse, en fer laminé de Saint-Chamond, qui a le mieux résisté, est à recommander. L’addition d’un jupon protecteur paraît inutile.

Une plongée circulaire en béton, de 10 mètres de largeur et de 3 mètres à 3m 50 de profondeur est suffisante.

En raison de la difficulté de déblayer par le tir le béton protecteur des substructions, l’attaque ne peut qu’essayer de disloquer et perforer les cuirassements, par des tirs sous grands angles, sur le plafond de la tourelle à éclipse, après avoir recherché les coups d’embrasure, au début par obus de campagne, puis par des obus de siège, à mesure de l’arrivée des équipages.

Les obus de rupture, type B, n’ont donné, dans les tirs sous grands angles, que des effets localisés, alors que les obus-pétards, qui s’aplatissent contre le cuirassement, et les obus allongés, s’ils se couchent sur ce dernier, exercent une action destructive considérable.


Expérience sur les casemates et les portions d’escarpe et contre-escarpe d’un saillant

L’escarpe du saillant, en béton, a 6 mètres environ de haut sur autant d’épaisseur. La contrescarpe en béton, partie pleine, partie à galerie, a 5m 50 de haut; elle est surmontée d’un remblai en pierrailles, dépassant, de 0m 60, le sommet de l’escarpe. La face gauche du saillant présente une galerie de contrescarpe de 2 mètres de large, dont la voûte en béton et le piédroit appuyé aux terres ont respectivement 2m 50 et 3m 25 d’épaisseur moyenne.

Le fossé est flanqué. sur ses deux faces, par deux caponnières métalliques, arrondies aux angles et encastrées dans l’escarpe sur laquelle elles font saillie de 0m 70.

Les caponnières ont deux étages, de 1m 80 de hauteur, disposés pour être armés, chacun d’un canon à tir rapide. Le cuirassement de l’une d’elles, construite par le Creusot, est formé de plaques en acier forgé, extra-doux, de 15 centimètres d’épaisseur, vissées sur un caisson en tôle; l’autre, construite par la Compagnie de Chatillon et Commentry, est composée de plaques en fer laminé, de 10 centimètres d’épaisseur, ancrées dans la maçonnerie, au moyen de boulons. La casemate en acier a paru supérieure à l’autre, tant par la valeur de son métal, que par son mode de construction. Sa tôlerie intérieure, en effet, a arrêté les ménisques, détachés par le tir.

Des effets sur l’escarpe, on a conclu qu’une escarpe en béton, défilée à 18 degrés, peut être détruite en peu de temps par des obus explosifs ordinaires et allongés de 155, ce qui doit faire renoncer à ce genre d’obstacle. Cela conduit aussi à condamner les caponnières d’escarpe expérimentées. Pour les attaquer le mieux est, d’ailleurs, de faire brèche dans l’escarpe.

Conclusions

Comme on le voit, cette étude du chargement et de l’emploi des obus explosifs, et l’étude également difficile des obus à grande capacité, ont abouti rapidement, grâce aux mesures judicieuses prises à cet effet. Elle fait le plus grand honneur au personnel des Services techniques de cette époque.

Extrait du Général J. Challéat. L’Artillerie de terre en France pendant un siècle 1816 – 1919